Catia Ramalho

"Pourquoi toutes ces nuits contre d'autres corps? C'est que c'est insupportable." Catia Ramalho

samedi, juin 19, 2010

Poème interdit de Baudelaire


Lesbos




Mère des jeux latins et des voluptés grecques,

Lesbos, où les baisers, languissants ou joyeux,

Chauds comme les soleils, frais comme les pastèques,

Font l’ornement des nuits et des jours glorieux

Mère des jeux latins et des voluptés grecques,



Lesbos, où les baisers sont comme les cascades

Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds,

Et courent, sanglotant et gloussant par saccades,

Orageux et secrets, fourmillants et profonds

Lesbos, où les baisers sont comme les cascades !



Lesbos, où les Phrynés l’une l’autre s’attirent

Où jamais un soupir ne resta sans écho,

À l’égal de Paphos les étoiles t’admirent

Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho !

Lesbos, où les Phrynés l’une l’autre s’attirent,



Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses

Qui font qu’à leurs miroirs, stérile volupté !

Les filles aux yeux creux, de leurs corps amoureuses,

Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ;

Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,



Laisse du vieux Platon se froncer l’oeil austère,

Tu tires ton pardon de l’excès des baisers,

Reine du doux empire, aimable et noble terre

Et des raffinements toujours inépuisés.

Laisse du vieux Platon se froncer l’oeil austère.



Tu tires ton pardon de l’éternel martyre,

Infligé sans relâche aux coeurs ambitieux,

Qu’attire loin de nous le radieux sourire

Entrevu vaguement au bord des autres cieux !

Tu tires ton pardon de l’éternel martyre !



Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge

Et condamner ton front pâli dans les travaux,

Si ses balances d’or n’ont pesé le déluge

De larmes qu’à la mer ont versé tes ruisseaux ?

Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge ?



Que nous veulent les lois du juste et de l’injuste ?

Vierges au coeur sublime, honneur de l’archipel,

Votre religion comme une autre est auguste,

Et l’amour se rira de l’Enfer et du Ciel !

Que nous veulent les lois du juste et de l’injuste ?



Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre

Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,

Et je fus dès l’enfance admis au noir mystère

Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs ;

Car Lesbos entre tous m’a choisi sur la terre.



Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,

Comme une sentinelle à l’oeil perçant et sûr,

Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate,

Dont les formes au loin frissonnent dans l’azur ;

Et depuis lors je veille au sommet de Leucate



Pour savoir si la mer est indulgente et bonne,

Et parmi les sanglots dont le roc retentit

Un soir ramènera vers Lesbos, qui pardonne,

Le cadavre adoré de Sapho, qui partit

Pour savoir si la mer est indulgente et bonne !



De la mâle Sapho, l’amante et le poète,

Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !

- L’oeil d’azur est vaincu par l’oeil noir que tachette

Le cercle ténébreux tracé par les douleurs

De la mâle Sapho, l’amante et le poète !



- Plus belle que Vénus se dressant sur le monde

Et versant les trésors de sa sérénité

Et le rayonnement de sa jeunesse blonde

Sur le vieil Océan de sa fille enchanté ;

Plus belle que Vénus se dressant sur le monde !

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